Rencontre avec la sous-directrice [Terminé]

Kato était entré dans l'institut avec un léger sentiment de malaise. Celui de savoir que son père avait arpenté ces mêmes couloirs qu'il traversait aujourd'hui ? Il ne voulait même pas le savoir. Il était à présent le maître incontesté de ces lieux et cela lui conférait beaucoup de joie. Savoir qu'il avait le pouvoir de détruite l'œuvre de son père ou encore d'en faire quelque chose de différent.

Il se dirigea d'un pas sûr vers le bureau du directeur. Il était venu dans ces lieux quelques fois quand il était enfant et se rendait compte à présent que sa mémoire avait été fidèle en tout point. Les couloirs étaient propres mais peu chaleureux. Dans cet institut régnait un je-ne-sais quoi qui rappelait bien que ses pensionnaires avaient des... problèmes ? On pouvait le qualifier ainsi.

Lorsqu'il était venu en compagnie de sa mère, il s'était senti rassuré par la présence de cette dernière mais aujourd'hui, elle n'était plus là. Et n'avait plus besoin de l'être. Cet endroit était sien et aucun sentiment si puissant soit-il ne pourrait le faire renoncer à la direction.

Perdu dans ses pensées, il n'avait pas vu la jeune femme face à lui qu'il bouscula. Le moins que l'on pouvait dire, c'était qu'elle avait une apparence des plus originales. Il chercha ses yeux quelques instants et un sourire grandit sur ses lèvres lorsqu'il les trouva :

"Excusez-moi. Je ne vous avais pas vu, mademoiselle. Je peux peut être vous aider ?"

Le "mademoiselle" lui avait paru plus adéquate vu l'apparente jeunesse de la femme.

" Je vous excuse, j'étais moi-même bien trop concentrée pour m'apercevoir que vous étiez là. Je suis la sous directrice, Kuze Reiko. Je cherchais le bureau du directeur pour me présenter à lui. "

Elle semblait plus que chaleureuse apparemment. Kato aimait bien les gens comme ça. Cela lui évitait de faire trop d'effort et de feindre l'exubérance. Il prit sa main et la serra quelques instants. La paume de la jeune femme était chaude alors que la sienne était plutôt froide. Lorsqu'il relâcha sa main, il se demanda s'il devait lui dire qu'il était le directeur ou tout simplement l'amener dans son bureau. C'était une blague certes très nulle mais il faut croire qu'un rien l'amusait.

"Enchanté Reiko-san. Je ne regardais pas non plus devant moi, ne vous inquiétez pas. Justement, je me dirigeais vers son bureau, j'ai quelques affaires à voir avec lui. Je serais ravi de faire le chemin jusqu'à son bureau en votre compagnie."

Il désigna la direction à prendre d'un signe de tête puis commença à avancer. D'un geste, il sortit une cigarette de son paquet et l'alluma. Il la détailla pendant quelques instants puis reprit :

"Sous-directrice, c'est ça ? Vous n'êtes pas un peu jeune pour ce poste, sans vouloir vous offenser ? Ça implique de lourdes responsabilités, surtout dans un établissement tel que celui-ci, vous ne pensez pas ?"

Il attendit sa réponse en continuant à marcher. Après tout, elle ne devait pas être beaucoup plus jeune que lui. Ce n'était qu'une façon comme une autre de faire la conversation et d'apprendre à la découvrir. De toute façon, ils allaient bientôt travailler ensemble.

" Ne vous inquiétez pas, j'ai la tête sur les épaules. L'âge n'a rien à voir avec la sagesse. Je connais les responsabilités qu'implique mon métier, et je suis tout à fait apte à m'en occuper. De plus ma motivation n'enlève rien à mes capacités bien au contraire! "

Kato avait hoché la tête en écoutant Reiko. Elle semblait tout à fait compétente si l'on en croyait son discours. Ils s'approchaient en silence vers le bureau du directeur et leur marche était rythmée par le bruit des talons de la jeune femme. Kato ne pouvait s'empêcher de sourire à chaque fois qu'il la regardait. Hormis son style vestimentaire tout à fait original, elle dégageait quelque chose qu'il n'aurait pu expliquer avec de simples mots. Quelque chose de rassurant et de paisible. Il se demanda pendant quelques secondes comment elle était lorsqu'elle s'énervait.

Arrivée devant la porte du bureau, Kato ouvrit la porte pour laisser entrer Reiko en première. Puis, il s'avança à son tour. Il s'arrêta quelques instants et lui sourit franchement, puis alla s'asseoir tranquillement dans sa chaise. Pour la deuxième fois, il lui tendit la main.

"Asano Kato, enchanté pour la seconde fois Reiko-san. Vous l'aurez peut être deviné, je suis le directeur de l'institut Ichiyo. Désolée pour cette plaisanterie de mauvais goût. Mais parfois, l'ennui pousse à faire des choses stupides, n'est-ce pas ?"

Il tendit la main vers le fauteuil face à lui pour l'inviter à s'asseoir.

"Alors, Reiko-san, si vous me parliez de vous ? Vous semblez être tout à fait mûre pour ce poste et j'en suis ravi. J'ai besoin d'une personne plus que compétente pour me seconder correctement. J'espère que vous serez donc aussi responsable que vous l'affirmez."

A chaque fois qu'il avait parlé, il n'avait pu s'empêcher de sourire en se demandant quelle serait sa réaction face à la découverte de sa véritable identité.

" J'ai une licence pour être professeur de langue. J'ai exercé le métier de professeur dans un lycée difficile de Tokyô pendant deux ans. A la suite de cela, au vu de mes résultats, la direction m'a proposée de me muter en tant que sous directrice dans un lycée près de Otaru sur l'île d'Hokkaido. Mais j'ai dû refuser. Je ne pouvais pas déménager aussi loin sachant que mes parents se font vieux et qu'ils ont besoin de mon aide. Alors j'ai cherché les instituts qui correspondaient à mon C.V et à mon expérience. La votre à une très bonne réputation. Je suis à l'écoute et très patiente. Ces jeunes ont besoin de beaucoup d'attention car ils sont parfois en perdition. Je sais me montrer très professionnelle avec eux. J'ai également obtenue avant ma licence un BEP secrétariat, ce qui me permet de connaitre les responsabilités qu'engendre l'administration. "

Kato rit de bon cœur lorsqu'elle eut fini. Elle était plus que qualifiée, c'était indéniable. Toutefois, elle paraissait trop innocente pour ce genre de travail. Il était curieux de savoir qu'elle pouvait être son histoire mais ne pouvait pas le demander ainsi. Il se contenta donc de s'affaler un peu plus dans son fauteuil, les coudes sur les accoudoirs et les mains croisées contre son menton.

"Vous avez un CV impressionnant, je vous l'accorde et une expérience solide. Vous vous doutez, je l'espère, que dans ces lieux, vous pouvez avoir à faire à des cas réellement particuliers, voire agressifs ?"

Il se leva et alla ouvrir la fenêtre. Puis attrapa une cigarette et l'alluma. Puis en regardant au dehors :

"Vous savez, vous êtes bien plus compétente dans votre poste de sous-directrice que je le suis dans mon poste de directeur. Je n'ai aucune de vos qualifications et pourtant, ce bureau est mien. L'avantage d'être le fils de l'ancien directeur. N'est-ce pas rageant ?"

Il ne posait pas réellement la question à Reiko. Ce n'était même pas une vraie question. Plutôt une vérité à ses yeux. Il était normal que cette jeune femme occupe ce poste, mais lui ? Toujours perdu dans ses pensées, il alla se rasseoir puis écrasa sa cigarette. Reprenant lentement conscience de la présence de la jeune femme, il afficha à nouveau une mine décontractée :

"Laissez-moi vous dire que je suis heureux qu'une femme telle que vous soit parmi nous. J'espère que notre collaboration durera longtemps."

Reiko laissa parler le Directeur sans l'interrompre, déjà parce que c'était malpolie, parce qu'elle était curieuse de savoir ce qu'il pensait d'elle et quand plus il semblait ne pas vouloir s'arrêter de parler. Une fois qu'elle fut certaine qu'il avait terminé, Elle commença son monologue.

" Je suis au courant Asano-san. Mais comme je vous l'ai dit, j'ai eu à faire pendant deux ans à des élèves difficiles. Ne croyez pas que parce que je suis une femme je cours plus de danger qu'un homme. Soyez sans crainte, je sais me défendre. Et puis dans ce métier je ne serais pas autant en contact avec les jeunes que je l'étais en étant prof. "

Alors ainsi il était Directeur parce qu'il était le fils de l'ancien? Il semblait d'ailleurs culpabilisé sur ce point. Il se trouvait pas qualifié pour ce travail. Reiko lui sourit et se penchant sur le bureau, laissant apparaitre un peu plus et involontairement son abondante poitrine.

" Asano-san, qui vous dis que vous n'êtes pas qualifié pour ce poste? Ce n'est pas parce que vous n'avez pas fait les études correspondantes que vous n'allez pas faire du bon travail. Vous semblez être plus qu'humain, et c'est ce dont ont besoin ces jeunes. Savoir qu'ils sont soutenus et qu'on est là pour les aider à s'en sortir. Ne dites pas que vous n'êtes pas fait pour ce métier. Attendez de voir vraiment ce que vous valez. Et sachez que je suis réellement heureuse également de vous avoir comme Directeur. Tant que vous voudriez de moi à vos côtés, je le serais. "

Reiko lui fit un sourire éclatant. Elle l'aimait bien! Ça promettait une belle collaboration!

Il écouta d'une oreille distraite ce qu'elle disait. Avait-il vraiment envie d'aider ces jeunes ? Ce n'était pas non plus sa priorité. Il reprenait ce poste, disposait de revenus solides, d'un logement, que demander de plus ? Le poste de directeur n'était pas non plus la mer à boire. L'institut à administrer, beaucoup de paperasses somme toute. Et qui plus est, cette délicieuse jeune femme était là pour le seconder. Sa tache lui paraissait donc des plus simples.

Quant aux futurs pensionnaires, ce n'était que des adolescents à problème. Il en avait vu assez à son âge pour savoir que tout problème avait sa solution. Ces "pauvres" âmes en perdition qui allaient résider ici seraient comme des coqs en pâte. Des psychologues, des professeurs et un personnel qualifié pour répondre à leur attendre et leur problème. Que pouvait-on vouloir de plus à cet âge là si ce n'est du soutien et une oreille attentive. Ce qui, généralement, les parents ne pouvaient plus ou n'étaient pas en mesure de leur accorder. Il soupira.

"Avez-vous d'autres questions, Reiko-san ? Vous savez, bien entendu, que vous avez un bureau à votre entière disposition et que je vous déléguerais certaines tâches administratives."

Il sourit un peu ironiquement :

"Je vous rassure, je suis quelqu'un de responsable et ne vous rendrait pas la tâche trop ardue."

" Je suis la pour vous seconder. Et je suis travailleuse. Cela ne me fait pas peur."

Kato remarqua le ton moins chaleureux qu'elle adoptait à présent. Il n'en fit pas grand cas, continuant toutefois de sourire à la jeune femme. Cette dernière sembla se reprendre quelque peu, reprenant conscience de la personne à laquelle elle s'adressait.

" Nous avons fini? "

"Je suppose que oui. Nous devons tous deux avoir pas mal de choses à faire étant donné la réouverture de l'institut."

Il se leva lentement et prit le temps de s'allumer à nouveau une cigarette. Il s'approcha de la porte et l'ouvrit galamment à l'intention de Reiko-san. Toutefois, avant qu'elle ne sorte, il sembla hésiter quelques instants. Son esprit pesa rapidement le pour et le contre, puis il prit finalement sa décision. Il s'approcha de la jeune femme d'une démarche assurée.

"Pardonnez-moi de vous proposer ceci, mais que diriez-vous d'un dîner en tête à tête un soir de cette semaine ? Je ne suis pas ici depuis très longtemps mais il m'a semblé apercevoir plusieurs restaurants qui semblent agréables."

Il ajouta dans un demi-sourire :

"Vous pouvez voir cela comme un rendez-vous professionnel. Je serais curieux de savoir comment s'est déroulé votre parcours en tant que professeur de langue dans ce lycée difficile que vous avez mentionné."

Une fois sa proposition faite, il retourna s'asseoir et finit sa cigarette tranquillement.